Mon histoire commence en 1990, j’avais 45 ans. Je vois défiler devant mes yeux des images extrêmement surprenantes. Dans un camp de vacances que ce prêtre organisait tous les ans, en pleine nuit, je cherche le sommeil. J’ai neuf ans. Je le vois se glisser dans mon lit, me caresser le torse, sous mon pyjama, puis les fesses ; j’ai alors un mouvement instinctif de rejet. Il sort du lit, puis plus rien. L’enfant de neuf ans que j’étais a mis en place inconsciemment, pour se protéger ce qu’on appelle une amnésie post-traumatique.
Intrigué, je cherche à le rencontrer mais il est décédé, me dit-on.
Ce n’est qu’après ma retraite que j’écris en demandant s’il était connu comme pédocriminel, Après leur réponse négative, je leur demande de faire une enquête pour savoir s’il avait fait d’autres victimes, car dans le cas contraire, je crains d’être devenu fou ou schizophrène. Ils mettent six mois à m’opposer un refus très ferme, et dans la foulée, j’envoie mille courriels. Dix m’ont répondu avoir aussi été victimes de ce prêtre ! Le supérieur décide de créer une commission d’enquête. Mais il me faudra le harceler pendant 4 ans, pour que soit créé un « groupe d’accueil de victimes d’abus moraux … » sans mention d’abus sexuels !
Toutes mes démarches sont consignées sur mon blog. A ce jour, une cinquantaine de victimes de prêtres m’ont contacté par l’intermédiaire de mon blog ou d’actions médiatiques. Quatre m’ont avoué : « Jean-Pierre, tu es la première personne à qui j’en parle ». Ces paroles m’ont profondément touchées et me perturbent encore. Comment des hommes entre 50 et 80 ans peuvent-ils vivre avec cette souffrance enfermée en eux. Ils m’ont parlé car ils avaient vu ma main tendue, dans mon blog, ou dans des médias.
Depuis je demande sans cesse de mener des enquêtes sur chacun des cents prêtres pédocriminels connus de cette congrégation et je reçois toujours le même refus obstiné.
Récemment, quatre appels à témoignages ont été mis en ligne. Cela semble être un grand pas en avant, sauf que c’est hyper confidentiel.
Le nom du prédateur est fondamental. J’en veux pour preuve cette phrase de la dernière page du livre « Prière de ne pas abuser » de Patrick Goujon s.j., lui-même victime d’agressions sexuelles dans son enfance par un prêtre : « La joie m’a saisi quand le nom de l’agresseur fût prononcé par un autre que moi, je n’avais pas déliré, j’étais sauvé. »
Mais en France, on se refusent à publier ces noms, sauf s’ils ont déjà été rendu public par une autre personne ! Et ceci bien qu’aux USA et au Canada rendent public les noms de tous les prédateurs connus de leur congrégation !
Il faut comprendre que parler, pour une victime qui s’est tue pendant des dizaines d’années, c’est revivre toutes les souffrances et les émotions vécues lors des agressions ou des viols. J.M.Sauvé, président de la CIASE, disait qu’il était plus difficile à une victime de parler que de sauter du deuxième étage de la tour Eiffel ! Mr Garapon, président de la CRR, lors de la journée CRR du 12/12/2024 a conclu son intervention en prenant acte que seul 1% des victimes ont pu contacter la CRR ou l’INIRR.
Qu’attendez-vous pour tendre la main à ceux qui n’arrivent pas à vous parler ?