Je m’appelle Thiébaut. Je suis né en 1958, issu d’une famille où la religion catholique avait une grande importance. Mes parents étaient très croyants et pratiquants et ils m’ont placé en 1970/71 dans un collège religieux après des résultats scolaires très médiocres.
Mon père est décédé lorsque j’étais en classe de 5ème en 1972. Dans l’année qui a suivi son décès, alors que j’étais dévasté par la mort de mon père, j’ai été violé par mon professeur de Français, également mon professeur principal. Mon agresseur était un religieux, non ordonné prêtre, qui décédera en 2019. J’ai perdu toute foi et je suis agnostique.
Après ce viol, j’ai subi une amnésie traumatique pendant des années. Une période de profonde déprime, une période interminable, comme vivre dans le brouillard, qui s’est terminée en première ou en terminale. Ma mémoire a complétement évacué l’agression. Les premiers souvenirs sont remontés à la surface après la fin de la prescription pénale légale, lorsque j’avais la quarantaine. Les suites de ce viol ont été très importantes et ont occasionné des conséquences personnelles, relationnelles, familiales, sociales, professionnelles. L’impact a été particulièrement lourd pour moi.
Pendant très longtemps, je n’ai pu parler de ce qui m’est arrivé, que ce soit dans un cadre familial, social, amical etc… Par la psy et la thérapie, j’ai mis des années à émerger pour reconstituer ce qui m’était arrivé. J’ai été confronté à la question de la honte, à la difficulté de parler pour dire quoi, comment et à qui. Il y a aussi la peur d’être jugé. Arriver à se reconnaitre victime et à le dépasser a été très difficile pour moi. L’impunité de l’agresseur est difficile à vivre, c’est une injustice terrible. En raison de la prescription pénale, je n’ai pu agir à temps. Mon agresseur est mort en 2019.
J’ai été soutenu par une partie de ma famille, avec beaucoup de compréhension et d’empathie, lorsque j’ai dit ce qui m’était arrivé. Au contraire une autre partie des membres de ma famille ne m’a pas soutenu, soit par incompréhension, soit que mon témoignage heurtait leurs convictions catholiques.
Les conséquences de ce viol ont été majeures pour moi, c’est quelque chose qui est présent, toujours. Je n’ai pas eu d’addictions, mais l’idée du suicide a été longtemps très forte.
Je me suis adressé à la Commission Reconnaissance et Réparation à l’automne 2022, ainsi qu’à France Victimes. France Victimes m’a également aidé à évoluer sur le fait d’avoir été victime et d’avoir dépassé ce stade.
Les déclencheurs de ma démarche ont été l’affaire Preynat, l’affaire Barbarin, la sortie du film Grâce à Dieu, et surtout la sortie du rapport de la Ciase en octobre 2022.
Mon dossier a été reconnu par la CRR en 2023 ; la congrégation a reconnu la responsabilité de mon agresseur et m’a présenté ses excuses par écrit et verbalement lors d’une réunion tripartite, CRR, la congrégation et moi.
En 2024, j’ai participé comme co-auteur, à la rédaction de l’ouvrage « Quand le diable a revêtu l’habit » paru aux Éditions Karthala / Paris – juin 2024 avec le texte « Dire » écrit sous pseudo Pierre.
Au-delà de mon cas personnel, dire ce qui m’est arrivé, je pense que le devoir des victimes est de s’exprimer afin que d’autres victimes se manifestent et osent parler et dire ce qui leur est arrivé. Et enfin sortir de la honte, du silence.